Cécile Petit travaille aux Éditions Milan, maison d’édition spécialisée dans les livres jeunesse. D’abord arrivée en tant que stagiaire en 2006, elle a vite évolué au sein de la maison pour passer d’assistante d’édition à éditrice, et d’éditrice à responsable d’édition. Elle nous explique ici son parcours, ses choix, et surtout sa passion.

J’adorais les histoires !
Pourrais-tu me présenter ton parcours et comment tu es arrivée aux Éditions Milan ?
Cécile – Je n’étais pas forcément très bonne en français au lycée, mais j’ai fait des études de lettres, parce que j’adorais les histoires. Je me suis dit qu’il fallait que je travaille dans le livre, mais avec un côté créatif. J’ai regardé tout ce qu’il existait comme type de métier et le seul qui correspondait était le métier d’éditeur. C’est pour ça que je suis devenue éditrice.
En quoi consiste le métier d’éditeur ?
Cécile – La meilleure image que l’on puisse avoir, c’est de voir l’éditeur comme le chef d’orchestre de la maison d’édition. C’est celui qui va coordonner tous les intervenants pour qu’à la fin, un livre soit publié. C’est travailler avec un auteur et/ou un illustrateur, être en lien avec les services de fabrication [qui sont eux-mêmes en lien avec les imprimeurs], le commercial, la communication, le correcteur, les graphistes… Le tout pour que le livre sorte en temps et en heure. Mais l’éditeur est aussi un apporteur de projet dans le sens où soit le texte va venir à lui et il va falloir le développer [c’est le cas des manuscrits envoyés par des auteurs aux maisons d’édition], soit on est précurseur, on amène l’idée, et il faut alors trouver l’auteur qui correspond au projet.
Et tes études de lettres ont donc pu t’amener à ce métier…
Cécile – Oui, j’ai continué à faire mes études de lettres mais avec des spécialisations « édition » à la Sorbonne et j’ai fait beaucoup de stages pendant mes études. Comme les livres qui m’intéressaient le plus étaient les livres illustrés pour les enfants, j’ai fait tous mes stages dans le secteur de l’album.
Pourquoi cet intérêt pour les livres illustrés ?
Cécile – Parce que le rapport texte/image m’a toujours plu. Je n’arrive pas à m’impliquer dans les romans purs, ne travailler que du texte ne m’intéresse pas, alors que trouver un illustrateur pour une histoire, trouver un format différent, trouver un rapport entre le texte et l’image pour que ce soit très équilibré, et puis s’adresser aux plus petits, je trouve ça super ! Et après, au-delà de l’album illustré, il y a tout le domaine de la Petite Enfance [le département Petite Enfance aux Éditions Milan publie des livres animés, à toucher, à puces, etc.] qui est super parce qu’il faut aussi travailler sur les matières à toucher, sur ce que les enfants apprennent et à partir de quel âge… Tous les livres ne conviennent pas à un enfant de un an par exemple. C’est travailler sur tous ces aspects qui est génial !
Ce sont vraiment des concepts éditoriaux plus que des livres ou des histoires.
Comment es-tu arrivée aux Éditions Milan ?
Cécile – J’ai fait mon dernier stage chez Milan avec Christophe Tranchant [qui était alors responsable d’édition] au département Petite Enfance, et j’ai été embauchée au département Albums six mois après, car ils créaient un poste. Depuis, je suis restée. J’ai intégré les Albums en tant qu’assistante d’édition, j’ai évolué pour devenir éditrice puis responsable d’édition. Au fur et à mesure du temps passé dans ce secteur, j’ai commencé à vraiment prendre mes marques et à évoluer aussi du point de vue de l’autonomie et de la proposition de projets, et j’ai ensuite développé le petit département Héros et Livres-jeux.
Pourrais-tu m’en dire un peu plus sur ce département ?
Cécile – L’idée était de développer des héros pour des tranches d’âges différentes, qui ont donc des buts différents, et des livres-jeux qui amènent l’enfant vers le livre : des choses très ludiques et interactives. On partait de rien, il fallait qu’on invente tout, il y avait une vraie recherche éditoriale avant même de faire appel à un auteur ou à un illustrateur, parce que ce sont vraiment des concepts éditoriaux plus que des livres ou des histoires. C’est ça que j’aime beaucoup, être au début d’une recherche, d’un processus, pour pouvoir gratter par-ci et gratter par-là. Il y a beaucoup de ratés, mais quand on arrive à quelque chose, c’est top ! C’est réinventer le genre du héros pour les tout-petits, proposer des héros pour les plus grands mais avec des caractéristiques particulières. Le héros doit correspondre au public auquel il s’adresse.
Ce qui n’est pas si simple…
Cécile – Ce n’est pas tous les jours facile dans le sens où il faut savoir se renouveler et se rendre compte que notre idée n’est pas forcément bonne. Mais il faut rebondir. Souvent, on se dit que l’on a trouvé un super truc et en creusant on se rend compte que ça ne marche pas. Ou alors on y croit dur comme fer et dès qu’on le présente on a un nombre de contradictions qui apparaissent. C’est difficile dans le sens où l’on part de rien, mais c’est une mécanique de réflexion. On peut par exemple avoir une fabrication spécifique qui va nous amener à travailler non plus sur un héros mais sur un livre-jeu. On va trouver une logique ou un jeu qui existe à l’extérieur et qu’on va essayer de transposer en livre. Il y a plein de manières différentes d’arriver au même but, mais il faut tout explorer et c’est ça qui est parfois un peu flou. Mais on y arrive peut-être une fois sur quatre !

Qu’est-ce que c’est, pour toi, un héros ?
Cécile – Quelle question piège [rires] ! Un héros, c’est un personnage qui doit refléter le lecteur ou une partie du lecteur. Quand on travaille sur un héros, le lecteur doit s’y retrouver, il doit se dire « tiens, je lui ressemble car il est très imaginatif, mais je suis moins brouillon que lui ». Ou, pour le tout-petit, un héros, c’est le personnage dans lequel il peut se projeter : celui qui est illustré, c’est lui. C’est lui qui va sur le pot, qui fait les mêmes bêtises… Le héros est donc pour moi le reflet du lecteur.
Dans ce cas, est-ce que tous les personnages d’albums sont des héros ?
Cécile – Non, un héros doit avoir une récurrence. Il doit avoir une histoire, et une autre, et encore une autre… C’est ce qu’on voit chez Tintin et chez T’choupi, même si ce sont deux héros complètement différents. Un héros se construit au fur et à mesure des histoires, il a une vraie base. On travaille sur une bible dans laquelle on est censé tout mettre du héros (ses caractéristiques physiques, morales et psychologiques) et qui nous permet d’avoir une ligne directrice qu’il faut toujours suivre. Un héros ne pourra pas être colérique un jour et calme et très philosophe le lendemain dans une autre histoire. C’est ce document de base qui nous permet de développer un héros sur différentes histoires. Un personnage d’album peut ne pas avoir de fond psychologique, d’épaisseur on va dire, il sera le héros de son histoire mais ne sera pas un héros au long cours.
C’est hyper excitant de repartir à zéro sur certaines choses.
Aujourd’hui, ton poste est en pleine transformation. Peux-tu m’en dire plus à ce sujet ?
Cécile – Je suis maintenant responsable d’édition d’une cellule Recherche et Développement qui a pour but d’être à l’affût de tout ce qui se passe dans le monde de l’enfance pour être un éditeur encore plus engagé et plus en relation avec le monde actuel. Nous devons rechercher les tendances mais aussi faire des propositions à tous les secteurs de la maison d’édition (la fiction, l’éveil, l’album ou le documentaire) pour leur présenter des projets qui pourraient être aussi à cheval sur deux secteurs. Les livres-jeux par exemple peuvent avoir un fond documentaire ou un fond fictionnel. Là on aura une espèce de ligne directrice entre ces deux secteurs. On sera aussi amené à travailler sur des projets qu’on nous délègue en essayant d’aider les directeurs littéraires dans leur développement de projets. C’est un travail en transversal.
Pourquoi as-tu accepté cette évolution ?
Cécile – Je faisais déjà ce travail de recherche et de développement sur les héros et les livres-jeux, mais là on m’offre l’occasion de le faire sur tous les secteurs des Éditions Milan : c’est encore mieux ! Je vais aller creuser ailleurs, je sors de ma zone de confort car il y a des secteurs que je connais beaucoup moins. C’est hyper excitant de repartir à zéro sur certaines choses avec une expérience pratique en terme d’organisation et de production. Camille Babeau [également responsable d’édition dans cette nouvelle cellule] et moi, au final, on a fait tous les secteurs de Milan à nous deux. Elle a fait du documentaire et de la Petite Enfance, j’ai fait de la Petite Enfance, de l’album et un petit peu de fiction, et on arrive donc à avoir un œil assez global sur le catalogue. Cette cellule, c’est un laboratoire à idées… J’aurais eu tort de refuser. C’est la suite logique de mon travail.
Qu’est-ce qui est le plus important pour toi dans ton travail ?
Cécile – Ce que je préfère est sans doute le partage d’idées pour avancer sur des projets et les développer. C’est sans doute ce qui me manquait lorsque je travaillais seule sur les Héros et Livres-jeux, mais c’est ce que je retrouve dans mon nouveau poste. On va pouvoir, par exemple, travailler en binôme avec des éditeurs d’autres départements afin de développer une collection… c’est top !
Voici un exemple de chemin tout tracé ! Toujours curieux de voir comment chacun finit par trouver son compte…
C’est sûr que c’est un parcours un peu plus « linéaire » que la précédente interview ! 🙂