Aymar Azaïzia travaille chez Ubisoft, à Montréal, en tant que directeur de contenus de la licence Assassin’s Creed. C’est lui qui m’a inspiré l’idée du blog (je reviendrai sur ce point une prochaine fois) et je suis donc très heureuse qu’il ait accepté cette interview ! Il revient ici sur son parcours et nous explique que ce qui était important pour lui était surtout de choisir la meilleure voie possible pour arriver à bon port…

Ce qui était intéressant là-dedans c’est que, pour moi,
l’objectif a toujours été de travailler dans le divertissement.
Peux-tu me parler de ton parcours, et m’expliquer comment tu en es arrivé là où tu es aujourd’hui ?
Aymar – Si on commence par la base, par le côté scolaire, il y a déjà une période de questionnement qui est intéressante. Juste après le bac, je sais ce que j’ai envie de faire : j’ai envie depuis longtemps de travailler dans le jeu vidéo, dans le divertissement, dans l’Entertainment au sens large, sans idée précise de comment y parvenir ou comment y parvenir le mieux possible. En France, la situation n’est pas super simple, alors je commence à me renseigner sur les écoles, sur tout ce qui existe, et je passe les concours d’entrée à Sup Info Game qui est une des premières écoles historiques à avoir l’enseignement game design avec des cursus très axés jeu vidéo. J’ai réussi les concours d’entrée, mais je n’étais pas vraiment certain de vouloir y aller : ils forment une trentaine de game designer par année, mais en France, si on regarde des portails qui recrutent dans le jeu vidéo, il n’y avait vraiment pas d’ouverture de job pour 30 personnes par an. Du coup je me suis demandé comment est-ce que je pourrais rentrer dans le jeu vidéo et avoir un bon back up au cas où. J’ai donc décidé de faire une école de commerce, en me disant « avec une Business School et un master en poche, ça va être beaucoup plus facile ». Ce qui était intéressant là-dedans c’est que, pour moi, l’objectif a toujours été de travailler dans le divertissement. Je ne veux pas me tuer au boulot à coup de 50/60 heures de travail pour être heureux seulement durant mes congés, pour moi c’est hyper important de me lever le matin et d’être content de faire ce que j’ai envie de faire. Du coup, j’ai fait les dernières années de ma scolarité en alternance et j’ai travaillé dans différentes boîtes, dans la bande dessinée notamment, dans le jeu vidéo, et c’est comme ça que je me suis fait repérer pour ensuite me voir proposer un emploi par Ubisoft à Paris. Mais je n’avais vraiment pas envie de rejoindre le siège à Paris malgré les contacts que j’avais et que je connaissais déjà à Paris.
Qu’est-ce qui ne te plaisait pas à Paris ?
Aymar – La première chose, c’est l’environnement, qui était pour moi hyper important. Et pour moi, Paris, en terme de qualité de vie, ce n’était pas génial. J’adore y aller, m’y balader, mais y travailler et y vivre, ça ne me convenait pas. À Montréal, l’environnement est beaucoup plus zen, plus relax. Le second point, c’est qu’à l’époque à Paris il n’y avait pas encore de vrai studio de développement Ubisoft, c’est surtout un quartier général, une filiale qui fait énormément de marketing, de business, de communication, etc., mais très peu voire pas du tout de développement de jeux. Alors que ce qui m’a toujours intéressé moi, c’est ce côté-là : j’avais besoin d’être avec/dans les équipes, ce que me permettait Montréal.
Tu es donc parti à Montréal…
Aymar – Oui, lorsque j’ai refusé le poste à Paris, Ubisoft m’a alors proposé un poste de community manager à Montréal en m’expliquant que c’était en-dessous du poste qu’on me proposait sur Paris mais que c’était à Montréal. Je suis donc parti tout de suite avec la volonté tout de même de changer de job dans l’année. Je suis venu à Montréal, j’ai aidé à finir Far Cry 2 et j’ai commencé à travailler sur Assassin’s Creed II. À partir de là, j’ai pris du galon, je suis passé de community manager à chef de projet international, j’ai encore pris différents échelons, puis sous l’impulsion de Sébastien Puel, qui était alors le producteur exécutif de la marque Assassin’s Creed, on a créé la Brand Team dont l’objectif était, dès Assassin’s Creed II, de travailler sur les projets transmédia. Comme il y en a eu beaucoup (du graphic novel, des comics, de la bande dessinée, une série vidéo…), on a décidé de se structurer et j’ai alors un peu créé mon poste et ma place au fur et à mesure au point d’en venir à avoir aujourd’hui une entité avec plusieurs personnes qui travaillent et qui sont dédiées au transmédia, ce qui nous a permis de travailler sur le film et sur plein d’autres choses entre-temps.

Comment es-tu passé de poste en poste ?
Aymar – Ça, je dois avouer que c’est très « Ubisoft » dans l’âme, et très nord-américain dans la façon de penser. Même si en Amérique du Nord, ils peuvent licencier pour n’importe quel motif et n’importe quand, on se retrouve dans un cercle vertueux car tu peux toi aussi partir quand tu veux avec un préavis de deux semaines. Alors l’employeur fait tout pour que tu ne partes pas, pour que tu sois heureux et épanoui au travail. C’est ce qui fait aussi qu’ils fonctionnent à la méritocratie : si tu prouves que tu es bon et que tu en veux, ils n’hésiteront pas à te donner un poste, parce que justement rien ne les empêche de te redonner ton ancien poste si ça ne fonctionne pas. C’est ce qui s’est passé pour moi. Très vite j’ai été assez fonceur, et comme je suis très orienté résultat je faisais tout pour que ça se passe bien. Grâce à ça, je me suis fait remarquer par les bonnes personnes, qui n’ont pas hésité à me confier plus de responsabilités, jusqu’à avoir un poste de directeur il y a quelques années.
Comment te sens-tu aujourd’hui vis-à-vis de ton poste ?
Aymar – Je me retrouve aujourd’hui à un poste dans lequel, pour être performant et pour pouvoir s’éclater et s’épanouir, il faut être à la fois super créatif et très orienté business. Il faut être capable de comprendre ce qui fait sens et ce qui fonctionne pour ne pas lancer des projets juste pour lancer des projets, et il faut en même temps avoir cette fibre créative, s’intéresser à d’autres cultures, aux différents médias sur lesquels on travaille… J’ai réussi à me créer un équilibre où finalement les deux entités de mon cerveau arrivent à se réconcilier et j’arrive à la fois à avoir une approche pragmatique et créative, mes journées ne se ressemblent jamais, et ça a été mon objectif depuis super longtemps. C’est assez drôle finalement que cet amour du côté créatif ait fini par me servir et m’aider dans ma carrière, ça a vraiment été un gros plus et c’est ce qui m’a démarqué, dans le côté marketing et business, des autres personnes qui faisaient le même genre de métier que moi.
Le plaisir, tu peux le trouver dans tous les métiers.
Pour moi, ça passe par la créativité et le challenge.
Pourquoi voulais-tu autant travailler dans le jeu vidéo à la base ?
Aymar – J’ai toujours été un super gamer, pour moi le jeu vidéo était le média avec lequel j’ai eu « la » grosse explosion amoureuse. Autant j’adore lire, regarder des films ou des séries télé, autant les premières fois où je suis rentré dans des jeux plus narratifs sur PC, ça a été un coup de foudre. Il y avait le mélange de tout ce que j’aimais : le côté épique, tout en nous mettant au cœur de l’expérience. Il y a quelque chose d’actif, et pas passif, et je trouvais ça passionnant. Quant à créer un jeu vidéo, c’est tout ce qu’il y a de plus complexe !
C’est cette complexité qui te stimule au quotidien ?
Aymar – Clairement ! J’ai toujours été quelqu’un qui comprend les choses très vite, donc je m’ennuie très rapidement. Faire des choses très différentes est ce qui me stimule le plus. Quand t’es dans ce type de métier, les problématiques sont systématiques et surprenantes, les médias et la technologie évoluent tellement vite qu’on est tout le temps obligés de se réinventer. Dans un jeu, le temps de développement d’un triple A [jeu à très gros budget] est de 3 à 4 ans. La plupart du temps, on est en train de travailler avec des partenaires qui nous présentent déjà leurs futures technologies, leurs nouvelles avancées. Donc en cours de route, pendant qu’on développe un projet, on doit tenir compte de ce genre de choses, on doit se challenger, on doit faire évoluer la formule…. Et la meilleure façon de le faire est de s’immerger et de rester constamment à l’affût. Pour moi, prendre du plaisir à travailler, ça veut dire que forcément pour savoir ce qui est intéressant il faut regarder ce que les gens aiment, se nourrir de films, de séries, jouer à des jeux, voir des expos, voyager… Tout ça nous permet de créer des choses intéressantes et de nous renouveler sans cesse. Et réussir à faire de ça son métier c’est assez jouissif ! Le plaisir, tu peux le trouver dans tous les métiers. Pour moi, ça passe par la créativité et le challenge.

Et si tu me parlais justement un peu de ton métier aujourd’hui ?
Aymar – C’est un métier qui n’existait pas il y a quelques années. Mon travail est essentiellement de m’assurer qu’une marque, un univers, soit le plus développé possible, le plus consistant possible, et soit présent sur les plateformes où ça fait sens, que ce soit économique ou narratif. C’est ce qui va permettre à la licence de l’exposer à plus de monde, de raconter des histoires différentes… Pour une entreprise, ça permet d’amortir un investissement qui est énorme dans un jeu, une licence ou un monde ! C’est pour ça que sur Assassin’s Creed Origins, en février, on va sortir le Discovery Tour : un mode de découverte historique où on se balade, dans lequel il n’y a ni combat ni violence. On enlève toutes les couches narratives du jeu pour garder des tours guidés comme on en fait dans les musées avec des informations validées par des historiens. Tout cela fait suite à notre volonté de ne pas laisser le jeu être simplement un jeu.
Finalement, tu es le garant de tout ce qui touche à l’univers Assassin’s Creed.
Aymar – Exactement, ça a commencé il y a quelques années en protégeant la marque, et aujourd’hui, si on continue à le faire, on travaille aussi à la développer, à créer des partenariats. On fait des tee-shirts, des statues, des comics books, un film, des produits surprenants comme un livre de cuisine avec des recettes Assassin’s Creed qui a cartonné, etc. Aujourd’hui c’est devenu un métier de gérer un univers fictif. Et quand on est passionné par ce genre de choses, on en comprend d’autant plus l’intérêt et on s’assure de créer des projets qui résonnent, qui plaisent aux gens.
Et pour après… ?
Aymar – Pour l’instant, je ne sais pas. Je me suis retrouvé à travailler sur un gros film, à travailler avec des gros acteurs, et d’autres choses de ce genre qui étaient totalement inattendues. Et je suis encore très loin d’avoir fait le tour de tous nos projets ! Depuis quelques années, je ne travaille plus sur une marque de jeu vidéo, mais sur une marque de divertissement au sens large. C’est une marque qui rayonne bien au-delà du jeu, et il nous reste beaucoup à apprendre et beaucoup à livrer.
© 2017 Ubisoft Entertainment. Tous droits réservés. Assassin’s Creed, Ubisoft, Ubi.com et le logo Ubisoft sont des marques déposées d’Ubisoft Entertainment aux États-Unis et/ou dans les autres pays.
Excellent cette interview ! Et ça vend du rêve. 😀
Heureuse que ça te plaise… et que le but de l’interview soit atteint 😉 !
C’est super de découvrir un métier aussi atypique via ton portrait ! Tu nous avais bien expliqué ce qu’est le transmédia, mais j’ai encore mieux compris 🙂
Hello Chloé ! C’est sûr que c’est un portrait atypique, ce n’est pas un métier très courant en France. En tout cas, si tu veux plus d’infos sur le transmédia, n’hésite pas 😉
M. Azaïzia s’est montré très loquace et généreux en détails sur son parcours, ce qui rend cette interview rare et précieuse étant donnée la singularité de cette profession qui doit en faire rêver plus d’un (dont moi).
Je suis particulièrement content d’avoir pu lire que les chemins de traverse restent une valeur sûre pour l’épanouissement personnel 🙂
Bonjour Nicolas ! Un plaisir de lire ton commentaire. Je pense que ce qui est important à retenir ici est que tant que tu gardes ton objectif en tête tout le long de ton chemin pour y arriver, alors tu pourras l’atteindre. 🙂
Fantastique tu es obtenu un entretien avec ta muse ! Et je comprends mieux comment il a pu t’inspirer la création de ce blog dont j’adore le concept !
Merci pour ces compliments Leaz !!
Au passage, j’adore aussi le concept de ton blog ! 😉